Bouleversements sociaux, résistances et alternatives

Cette résolution a été adoptée par le 17e Congrès mondial de la IVeInternationale par 108 mandats pour, 5 contre, 1 abstention.

 

 

I. Éléments d’analyse

1 /Quelle est l’évolution de la situation de la classe ouvrière et des exploité·es au niveau mondial ?

2 / Évolution aussi du taux d’exploitation au niveau mondial.

3 / Des attaques tous azimuts contre les populations paysannes

4 / Quelles sont les conséquences de l’augmentation importante des phénomènes migratoires ?

5 / L’impact de la crise environnementale

II / Les fronts de riposte

1 / Le développement inégal du mouvement syndical

2/ Auto-organisation et coopératives

3 / Les luttes contre la dette

4 / Les luttes paysannes

5 / Place des mouvements démocratiques et de justice sociale

6 / Place des jeunes sans emploi dans les formations sociales

7 / Droits des femmes et mobilisation de masse contre les violences, les viols et les féminicides, pour le droit à l’avortement

8 / Les luttes LGBT+

9 / Les organisations contre le racisme et en défense des migrants

10 / La montée en puissance des mouvements contre le réchauffement climatique

III /Les questions de changements politiques, de luttes et de stratégie anticapitalistes

 

 

Les dernières années ont été marquées par des vagues de mobilisations sociales et politiques aux destins divers. Au Maghreb et au Moyen-Orient, les vagues du Printemps arabe, sans s’être épuisées, se sont heurtées à la conjugaison de forces réactionnaires. En Amérique latine, nous arrivons au début d’un nouveau cycle après la défaite du PSUV aux élections vénézuéliennes. En Europe, après la capitulation de Tsipras, Syriza n’a pas maintenu l’orientation de la dynamique ouverte par son élection ou par le vote OXI massif en juillet 2015.

En 2008, la faillite de Lehman Brothers ouvrait une crise financière internationale qui allait provoquer de nombreuses crises en ricochet, notamment celle des dettes souveraines en Europe. Elle a été le déclencheur de nouvelles attaques sociales qui se sont ajoutées aux bouleversements profonds provoqués depuis les années 1990 par les réorganisations politiques, économiques et sociales consécutives à 1989 et à la nouvelle phase de mondialisation capitaliste.

Le but de ce texte est d’analyser sommairement les modifications sociales à l’œuvre dans ce contexte et parallèlement les capacités et expériences de lutte des exploité·e·s et des opprimé·e·s ainsi que les évolutions des mouvements sociaux, syndicaux et politiques de résistance et de lutte contre les attaques capitalistes.

La question à laquelle nous sommes confrontés est celle de la réalité des rapports de forces entre les classes à l’échelle internationale. Cela suppose d’analyser :

• La réalité sociale de la classe ouvrière et des autres classes exploitées qui a connu beaucoup de modifications depuis une trentaine d’années, avec la mondialisation et la réinsertion globale de la Russie et de la Chine dans le système économique capitaliste mondial ;

• La force organisée du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux de lutte contre l’exploitation et les oppressions dans leur ensemble, force qui a subi beaucoup de bouleversements à divers niveaux. La disparition de l’URSS et la fin de la concurrence URSS/Chine d’hégémonie « socialiste » sur les mouvements de résistance à l’impérialisme ont largement modifié la géographie politique dans ce que nous appelions « les trois secteurs de la révolution mondiale ». Mais désormais quelle est la force réelle de chacun des mouvements de lutte organisant les exploité·e·s et opprimé·e·s dans ces différents secteurs ?

• Les nouveaux terrains de radicalisation depuis deux décennies, particulièrement parmi les jeunes générations. Même si le mouvement altermondialiste est plus faible qu’au tout début du siècle, la question de la justice sociale, la nécessité de combattre le pouvoir des banques, les grands groupes et les institutions internationales est un puissant vecteur de radicalisation. Il y a un lien manifeste entre la justice sociale, un emploi stable pour les travailleur·e·s, le droit des paysans de travailler sur leurs terres et les questions environnementales. On peut voir également, en particulier en ce qui concerne les changements climatiques et les grands projets inutiles, la volonté d’avoir un contrôle démocratique sur les grandes décisions et contre le système professionnel du pouvoir avec une masse de politiciens échappant à tout contrôle. L’aspiration libertaire à vivre sans violence, sans l’imposition de lois injustes et aussi un puissant ressort concernant les mobilisations féministes et LGBT+. Il en est de même pour les luttes contre les discriminations et les violences racistes pour en finir avec les héritages des sociétés colonialistes et esclavagistes. On peut voir enfin le pouvoir des nouveaux moyens de communication, en particulier les réseaux sociaux comme moyen d’organiser des manifestations, d’informer et de mobiliser dans toutes les régions du monde ; 

• La capacité, au-delà de ces exigences de démocratie et de justice sociale, à donner une cohérence politique au combat, à l’intégrer dans une lutte globale contre le système dans une situation où n’existe plus de « mouvement ouvrier international ». Le rejet des conséquences des politiques capitalistes ne déclenche pas automatiquement une conscience anticapitaliste. L’identité sociale ouvrière ne crée pas en tant que telle une identité de classe. Quelle capacité d’inscrire ces luttes dans un programme politique stratégique de remise en cause radicale de la société capitaliste, des oppressions qu’elle a créées ou restructurées ? Dans ce cadre, quel bilan tirer du mouvement altermondialiste et des différents réseaux internationaux cherchant dans un secteur ou un autre à coordonner les luttes ? Enfin, quelles sont la force et la direction prises par les courants politiques de ces fronts de lutte, qu’ils se définissent comme démocratiques, anticapitalistes ou révolutionnaires à l’échelle nationale, régionale et internationale ?

 

 

I. Éléments d’analyse

 

 

I.1. Quelle est l’évolution de la situation de la classe ouvrière et des exploitées au niveau mondial ?

Plusieurs phénomènes importants sont à enregistrer. La mondialisation a accéléré un mouvement de croissance industrielle et économique dans toute une série de pays (Inde, Chine, Turquie, Mexique…) phénomène qui devrait logiquement se poursuivre et se diversifier. 

Cela entraîne deux phénomènes importants dans les pays dits « émergents » : la concentration urbaine, l’augmentation du salariat plus rapide que celui de la population (75 % de progression entre 1992 et 2012 pour une augmentation de population de 30 %). Cela correspond à l’évidence au développement de nouveaux centres de développement économique. Une autre caractéristique importante a été la croissance relative du secteur des services en comparaison de celui de la production, de même que la prolétarisation de nombreux emplois salariés considérés auparavant comme qualifiés, comme l’enseignement ou la santé, ce qui a entraîné un engagement grandissant de ces groupes dans des mobilisations sociales pour se défendre contre les cadences de travail, le gel des salaires, les privatisations et d’autres attaques. 

Mais il faut prendre toujours en considération que, pris globalement, une grande majorité de la population active dans ces mêmes pays est constituée de travailleur·e·s ayant un emploi vulnérable selon les critères de l’OIT (travailleur·e·s familiaux non rémunérés ou individuels à leur compte) et cette proportion a été en augmentant depuis 2008 ce qui est donc une contre-tendance. De même, l’OIT enregistre depuis 2008 et prévoit une augmentation régulière du chômage dans les cinq prochaines années en Asie, Afrique et Amérique latine. La conséquence est évidente : l’urbanisation importante, une population rurale désormais minoritaire subissant en même temps la destruction des tissus sociaux (avec la suppression de services sociaux et d’écoles dans les zones rurales et la concentration dans les grandes métropoles), tend évidemment à une détérioration des conditions de vie, même si les réseaux de solidarité paysans persistent.

On est donc bien en présence d’une augmentation numérique de la classe ouvrière, mais avec des caractéristiques mondiales différentes concernant le développement global des sociétés où ce développement se produit.

Dans les « vieux pays industriels », le développement du prolétariat est, le plus généralement, allé de pair avec des combats syndicaux et politiques contre la bourgeoisie dans des cadres nationaux et, quelle que soit la violence des combats de classe du XXe siècle, avec l’obtention de droits sociaux dans le cadre des États, cristallisant des rapports de forces entre les classes. La reconnaissance de droits collectifs de la classe ouvrière était non seulement liée au contrat de travail dans l’entreprise mais aussi à des droits sociaux collectifs dans le cadre de la société civile, les bourgeoisies concédant qu’une part des profits capitalistes finance des systèmes de contribution et de redistribution fiscale sur lesquels se sont construites au XXe siècle la plupart des sociétés industrielles. Compromis sociaux, développement de « l’État social », liés à des systèmes idéologiques hérités du positivisme et du christianisme social. Ces idéologies et ces compromis étaient aussi le contre-feu nécessaire face au développement important des courants marxistes et socialistes. 

Tout cela n’est plus de mise aujourd’hui et le développement industriel dans les pays dits émergents ne se fait pas du tout dans le même contexte. Par exemple, concernant l’industrie de production automobile « passée à l’Est » : mis à part le Mexique, l’Argentine et le Brésil, les grandes zones de développement sont l’Europe de l’Est, la Turquie, l’Iran, le Pakistan, l’Inde et la Chine. Dans ces cas, les lignes de production, les qualifications sont les mêmes que dans les vieux pays industriels, mais les droits sociaux et la législation du travail ne sont pas du tout les mêmes. On pourrait tracer des tableaux similaires dans de nombreux autres secteurs industriels. Dans ces nouvelles zones de développement industriel, les compromis sociaux du siècle dernier ne sont plus de mise. Dans les vieux pays industriels, ces mêmes compromis sont déjà très largement remis en cause par les politiques d’austérité libérale. À côté de cela, on assiste à des situations de semi-esclavage, particulièrement pour les travailleurs migrants, des usines clandestines échappant à toute législation.

 

I.2. Évolution du taux d’exploitation au niveau mondial

Les modifications économiques des dernières années ont aussi des conséquences diverses… Non seulement les salaires ont stagné dans les vieux pays industrialisés, mais les dernières années ont vu une augmentation des gains de productivité au détriment des salaires, accentuant la tendance générale connue depuis les années 1980 de pertes de la masse salariale au profit du capital. De même les contrats précaires, les atteintes aux législations du travail ont été, dans les vieux pays industrialisés un des éléments clefs de ces gains de productivité (contrats zéro heure en Grande-Bretagne, Jobs Act en Italie, minijobs en Allemagne…). Cette montée des emplois précaires et de la dégradation des conditions de travail touche/vise les jeunes ayant de faibles relations avec le marché du travail et est utilisée comme levier pour une stratégie générale de changement global du marché du travail en partant du point le plus faible de la classe ouvrière. 

Malgré le coup de frein productif de 2008, dans la plupart des nouvelles zones de production, les salarié·e·s ont obtenu de réelles augmentations de salaire, notamment en Chine. Même si ce sont des grèves économiques, menées entreprise par entreprise, elles ont eu des effets concrets.

Dans ce contexte, on observe les manifestations de ce qui a été appelé la « féminisation » du marché du travail et de la pauvreté. Cela peut se comprendre de deux façons : d’une part, dans le fait que les conditions qui ont été typiques de l’emploi formel des femmes se généralisent à l’ensemble de la force de travail : instabilité et précarité du travail, contrats flexibles, salaires inférieurs à ce qui est nécessaire pour payer le panier de biens d’une famille. D’autre part, cela explique aussi la prolifération d’offres de travail pour les femmes notamment pour des emplois qui continuent d’être féminisés, comme le travail de soins. La journée de travail est double pour les femmes qui accomplissent, en plus, les tâches de travail domestique non rémunéré.

Donc, les éléments de tension sociale sur le marché du travail se maintiennent à la fois dans les pays « émergents » et dans les vieilles économies, soit par une pression accrue du chômage, soit par une sourde détérioration des conditions d’emploi et des systèmes de protection sociale. Presque la moitié des travailleur·e·s dans le monde vivent en dehors du salariat, dans l’ultra-précarité. Et la tendance est à la généralisation de contrats précaires et de législations réduisant au minimum les protections légales face aux licenciements. Ces évolutions accentuent la flexibilité et la capacité des capitalistes d’adapter au maximum les heures de travail et le nombre de salariés selon les besoins quotidiens. Cela va de pair avec une organisation logistique des chaînes de production et de distribution qui permet de diminuer au maximum ces coûts par un recours à une myriade de sous-traitants. Beaucoup de nouveaux traités permettent aux grandes entreprises d’échapper aux législations nationales (TTIP, TISA, etc.) Au sein de l’Union européenne, chaque mois, de nouvelles lois mettent fin à d’anciennes lois nationales. De facto, au niveau international, il y a désormais deux hiérarchies de pouvoir : celui des États et celui des entreprises, et le second est de plus en plus fort en ce qui concerne l’organisation du commerce et des contrats de travail.

Durant cette dernière décennie, la crise de la dette s’est déplacée du Sud vers les pays capitalistes avancés : crise de la dette des ménages dans de nombreux pays (États-Unis, Inde…), crise de la dette souveraine en Europe. Ces crises accélèrent les attaques sociales, la précarité et les situations de misère sociale, elles accélèrent aussi les exigences d’audit, de contrôle des populations, de contrôle social pour bloquer ces politiques. La notion de féminisation de la pauvreté indique que les femmes sont aussi celles qui deviennent la « cible » de prédilection de ce type de politique. On les sollicite en tant que mères, avec des exigences de responsabilité qu’elles doivent suivre pour appliquer ces politiques, et elles sont mêlées à la bancarisation et à la financiarisation de leurs économies.

Toutes ces modifications affaiblissent les capacités d’organisation collective et la structuration dans la durée de collectifs de résistance. Elles stimulent en même temps les exigences de résistance et les dynamiques d’auto-organisation. Cela impose le développement d’organisations sociales territoriales à même de regrouper, au-delà des entreprises, des travailleurs isolés ou itinérants. 

Les processus de féminisation évoqués tout comme l’affaiblissement de quelques identités qui, autrefois, étaient rassembleuses, comme l’identité syndicale, expliquent aussi l’émergence de « nouveaux » acteurs sociaux avec un rôle protagoniste inédit, tels que les femmes et, dans de nombreux pays, la communauté LGBT+.

 

I.3. Des attaques tous azimuts contre les populations paysannes

Même si leur nombre se réduit sans cesse, l’agriculture emploie 1,3 milliard d’hommes et de femmes, 40 % de la population active. Les paysans constituent toujours la majorité des populations actives en Afrique et en Asie. Depuis deux décennies, en Asie, Afrique et Amérique latine, les paysans ont été confrontés aux stratégies des « modernisations conservatrices » qui ont remis en cause profondément les structures paysannes en cherchant à les adapter à la mondialisation capitaliste. De nombreuses menaces pèsent sur la paysannerie, mais également sur le devenir des systèmes alimentaires et des équilibres environnementaux : montée en puissance de l’agrobusiness, accaparement des terres, expansion des monocultures d’exportation au détriment des cultures vivrières, pressions sur les ressources naturelles. L’accaparement des terres est un phénomène mondial, mis en œuvre par des élites locales, nationales et transnationales ainsi que par des investisseurs et spéculateurs, avec la complicité des gouvernements et des autorités locales. Elle conduit à la concentration de la propriété foncière et des ressources naturelles entre les mains de grands fonds d’investissement, de propriétaires de plantations et de grandes entreprises actives dans l’industrie forestière, les centrales hydroélectriques, les mines. Elle est aussi provoquée par l’industrie touristique et immobilière, les autorités gestionnaires d’infrastructures portuaires et industrielles.

Cette concentration de la propriété a provoqué l’expulsion de leurs terres et le déplacement forcé des populations locales – en premier lieu les paysannes et les paysans. Elle engendre des violations des droits humains et notamment des droits des femmes.

Les institutions financières comme les banques, les caisses de retraite et autres fonds d’investissement sont devenues des moteurs puissants de spoliation des terres. Simultanément, des guerres et conflits meurtriers sont menés en ce moment même pour la prise de contrôle des richesses naturelles.

Les accaparements de terres vont de pair avec la mainmise croissante des entreprises privées sur l’agriculture et l’alimentation à travers un contrôle renforcé sur les ressources comme la terre, l’eau, les semences et autres ressources naturelles. Dans cette course au profit, le secteur privé renforce sa mainmise sur les systèmes de production alimentaire, monopolisant les ressources et acquérant une position dominante dans les processus de décision.

Les paysannes et les paysans, les sans-terre et les peuples autochtones, et tout particulièrement les femmes et les jeunes, les travailleurs agricoles précaires, sont dépossédés de leurs moyens de subsistance. Ces pratiques détruisent également l’environnement. Les peuples autochtones et les minorités ethniques sont chassées de leurs territoires, souvent par l’usage de la force, ce qui renforce encore leur précarité et qui, dans certains cas, les réduit à l’esclavage.

Les mouvements paysans, dans tous les continents, mènent des mobilisations. Ces résistances se sont multipliées au cours des deux dernières décennies. Centrées autour de la souveraineté alimentaire. De plus, ces populations paysannes sont au cœur de toutes les crises qui traversent le monde actuel : crise économique et conséquences des dettes publiques et privées, crise alimentaire, changements climatiques vecteur de migrations, atteinte aux droits des femmes et des minorités. Les gouvernements des pays du Sud, le plus souvent pressurés par le paiement de la dette, ont multiplié ces dernières années des politiques d’exportations agricoles et extractivistes dont les populations paysannes ont là aussi subi les conséquences, par les dégâts environnementaux et la mainmise sur les terres par des trusts agroalimentaires.

 

I.4. Quelles sont les conséquences de l’augmentation importante des phénomènes migratoires ?

Plusieurs régions du monde sont le lieu de déplacements importants de populations : 250 millions de migrants internationaux, 750 millions de migrants internes (déplacés…). Ces déplacements sont dus souvent à des changements économiques structurels, à d’importantes disparités régionales : ainsi l’Afrique du Sud, l’Angola, attirent des migrants de pays limitrophes, tout comme l’Argentine et le Venezuela en Amérique latine, l’Australie et le Japon en Asie de l’Est et du Sud-Est. Les États du Golfe attirent un grand nombre de migrants venant de la corne de l’Afrique, de la Turquie, du sous-continent indien et des Philippines. De ce pays, près de 20 % de la population active vivent et travaillent à l’étranger, 50 % au Moyen-Orient, majoritairement des femmes. Les deux tiers des migrations internationales se font entre pays de niveaux de développement comparables et un tiers se tourne vers les États-Unis (Mexique) et l’Europe en provenance, essentiellement, de ses anciens empires coloniaux. Mais à ces phénomènes permanents s’ajoutent aussi les déplacements dus aux guerres, notamment de Syrie, d’Irak, d’Érythrée et d’Afghanistan, et désormais aux changements climatiques. 

La migration des femmes, dans le contexte actuel de crise de la mondialisation capitaliste de l’économie, approfondi et augmente les conditions d’oppression et génère de multiples impacts et de nombreux aspects de l’exploitation des femmes. Le contexte dans lequel se déroule la migration reflète l’appauvrissement extrême et la perte de droits de grands secteurs de la population mondiale. Les femmes émigrent à cause du besoin de trouver de meilleures conditions de vie pour elles-mêmes et leurs familles, et par manque d’opportunités professionnelles dans leurs pays d’origine. Elles émigrent également à cause des persécutions politiques et des menaces qui pèsent sur leurs vies dans des contextes de guerre.

D’un autre côté, nous trouvons des femmes et leurs familles dans le flux des réfugiés qui fuient leurs pays d’origine frappés par la guerre et la violence en direction de l’Europe, comme en Syrie ou dans d’autres régions du Moyen-Orient. Des histoires dramatiques se déroulent sur les routes d’accès à l’Europe, sur les côtes ou en traversant la Méditerranée ainsi que dans les pays d’Europe orientale ou balkaniques avec les migrants qui tentent d’atteindre l’Allemagne ou d’autres pays. Dans ce contexte, les femmes affrontent discriminations de genre, racisme et exploitation.

La migration prend également un autre visage avec la traite des femmes dont elles sont victimes dans les pays qu’elles parviennent à atteindre comme l’Angleterre, le Danemark, les Pays-Bas ou d’autres. Dans les pays où le crime organisé et les cartels de la drogue sont puissants, les femmes font face à différents risques comme d’être séquestrées ou enlevées par les cartels pour être intégrées aux réseaux internationaux de prostitution et de traite des femmes. Dans d’autres cas, c’est au travers de manipulations plus sophistiquées comme « l’enrôlement amoureux » dans lequel sont impliquées des familles entières de trafiquants liés à la traite des femmes. Les tromperies ou promesses de travail représentent également un piège pour transférer les femmes dans d’autre pays où elles se trouvent forcées à la prostitution. Dans certains endroits, il existe un lien entre la migration et le commerce du tourisme sexuel.

Des campagnes xénophobes sont utilisées politiquement pour présenter les migrants comme des ennemis, y compris de la classe travailleuse. Cela a été le cas durant le Brexit en Grande-Bretagne ou par Trump aux États-Unis. Dans certains pays comme le Danemark, se sont développées des campagnes de tendance xénophobe qui utilisent une rhétorique « féminationaliste » qui soutient que la migration mine les droits des femmes natives du pays d’arrivée. Le discours « féminationaliste » est très proche de « l’homonationalisme » dans lequel la droite xénophobe avance l’idée que la migration est une menace pour les droits de la communauté LGBT.

En parallèle, on trouve l’autre expression du problème qui concerne la migration de type économique dans laquelle les conditions de pauvreté, d’inégalités et d’absence d’emploi trouvent leur origine dans les conséquences désastreuses du néolibéralisme qui pousse des millions de personnes à quitter leur pays pour chercher du travail ailleurs. Cela concerne particulièrement les jeunes et le défi de réaliser leur participation dans des organisations sociales et les syndicats.

Dans le cas des Philippines par exemple, il y a plus de 10 millions de personnes à l’extérieur du pays qui travaillent dans des endroits aussi éloignés que l’Arabie saoudite ou plus généralement au Moyen-Orient. Les revenus envoyés par les travailleur·es philippins depuis l’extérieur à leurs familles représentent une partie essentielle de l’entrée de devises dans le pays. Dans ce cas, c’est majoritairement des femmes que proviennent ces revenus car il est supposément plus facile pour elles de trouver un emploi, quand bien même elles sont fréquemment soumises à la traite et la prostitution. Cela a bien évidemment de graves conséquences sur le tissu familial, provoque des ruptures.

De manières diverses, dans les différentes régions du monde où s’expriment ces formes d’oppression et d’exploitation des migrants, et particulièrement des femmes, on trouve des formes d’esclavage dans le travail, d’enfermement et de traite pour la prostitution. 

En ce qui concerne la vague de déplacements et de migrations en Amérique latine, un des cas les plus dramatiques, et en même temps un exemple de diverses expériences de résistances, est celui du Mexique. Ce pays est un passage obligé de centaines de milliers de migrants, pas seulement mexicains mais aussi centraméricains et de lieux aussi éloignés que l’Afrique, qui cherchent à rejoindre les États-Unis. Ils sont à la recherche de travail ou d’un refuge (pour ceux fuyant la violence en Amérique centrale) et tentent de traverser la frontière commune de plus de mille kilomètres entre le Mexique et les États-Unis. C’est pour cela que la campagne démagogique de Donald Trump contre les travailleurs mexicains qu’il accuse de voler les emplois dans les usines aux États-Unis est focalisée sur la construction d’un mur le long de cette immense frontière (en réalité il s’agit d’en terminer la construction).

À l’ancienne situation critique de la migration vers les États-Unis s’ajoute maintenant la menace de la politique raciste et xénophobe de Trump qui prétend expulser à brève échéance près de 3 millions de travailleurs mexicains. Durant le gouvernement Obama, ce sont précisément 3 millions de travailleurs mexicains qui ont été expulsés. Le problème actuel est la volonté de Trump de déporter cette même quantité de personnes en une année. Cela serait le détonateur d’une crise sociale aux conséquences imprévisibles au Mexique, qui s’ajouterait à la crise des droits humains et à la crise politique. Outre les déportations, des restrictions seraient portées à l’envoi d’argent par les travailleurs mexicains à leurs familles restées au pays. Ces envois représentent la deuxième plus importante source de devises dans le pays juste après les exportations automobiles (d’entreprises que Trump veut rapatrier aux États-Unis), mais plus importante que les investissements directs étrangers, le tourisme et les exportations pétrolières. Le Mexique est en quatrième position des pays recevant ce type de revenus, après la Chine, l’Inde et les Philippines.

Les conséquences de ces politiques ont un sens particulier pour les femmes. Les nouvelles lois que Trump cherche à imposer, comme mettre fin aux « villes sanctuaires » (dans lesquelles la police n’est pas autorisée à contrôler les documents migratoires des personnes ayant commis des infractions mineures, comme les infractions routières) ont pour conséquence de briser des familles lors de déportations. Les enfants d’une femme sans-papier aux États-Unis acquièrent la nationalité étatsunienne. Actuellement, la mère peut également l’acquérir après un long, risqué et coûteux processus. Avec les nouvelles dispositions légales, les familles sont détruites car les enfants leur sont enlevés et les mères déportées au Mexique. Une autre disposition légale impulsée par Trump veut punir de dix ans de prison tout migrant « illégal » ayant été déporté au Mexique qui serait arrêté lors d’une nouvelle tentative de pénétrer aux États-Unis.

Mais en plus d’être un pont jusqu’aux États-Unis, le Mexique peut aussi être un point d’arrivée pour des migrants d’autres pays. Avec les restrictions en vigueur aux États-Unis, des milliers de migrants se retrouvent bloqués au Mexique, spécialement dans les villes frontalières comme Tijuana ou Nuevo Laredo. Quelques heures avant de quitter le gouvernement, Obama annula la disposition légale connue sous le nom de « pieds secs » qui concédait l’asile avec effet immédiat aux Cubains qui arrivaient aux États-Unis par la voie terrestre et non maritime. En février 2017, des milliers de Cubains ont exigé de pouvoir rejoindre les États-Unis depuis Nuevo Laredo. Ces Cubains n’avaient, eux non plus, aucun droit au Mexique.

Une situation similaire s’est présentée à Tijuana où le passage de la frontière est bloqué pour des milliers d’Haïtiens et d’Africains qui ont payé de grandes sommes d’argent à des trafiquants pour supposément les acheminer aux États-Unis depuis leurs pays. Il y a parmi ces Haïtiens des familles complètes ainsi que de nombreuses personnes avec des niveaux de qualification élevés.

À la crise sociale et économique que représentent ces milliers de migrants bloqués, sans travail et sans droits, vient maintenant s’ajouter le racisme parmi la population mexicaine contre les Haïtiens et les Africains qui sont stigmatisés comme des délinquants. Si les Mexicains se plaignent du mauvais traitement réservé aux migrants aux États-Unis, ce même traitement est aussi appliqué aux migrants qui sont en route vers les États-Unis.

Au racisme qui les vole et les exploite s’ajoute maintenant l’action des cartels de la drogue qui, avec l’appui fréquent des autorités mexicaines, attaquent les autobus des migrants centraméricains comme à San Fernando, Tamaulipas. En plus des vols ou des assassinats dont sont victimes une partie d’entre eux, d’autres sont recrutés pour travailler dans des conditions proches de l’esclavage ou comme tueurs à gages. Les femmes, quant à elles, sont soumises à la prostitution qui fait partie des activités économiques des cartels ou au service des trafiquants.

La tendance produite par la mondialisation capitaliste d’expulsion de main-d’œuvre se traduit aussi par une augmentation de la migration de femmes et d’enfants en conditions de risque (ainsi qu’une augmentation des enfants qui voyagent seuls jusqu’aux États-Unis). Selon des chiffres officiels, les femmes migrantes représentaient 44,7 % des migrants durant la période 2004-2006 et 47,5 % durant la période 2013-2015. Les femmes migrantes présentent également un taux de chômage supérieur à celui des hommes. La migration des femmes mexicaines est en augmentation depuis les années soixante jusqu’à nos jours. En 2012, le nombre des femmes qui résidaient aux États-Unis a atteint près de 5,5 millions, représentant 46 % de la population mexicaine résidente dans ce pays. Leurs conditions d’insertion professionnelle et d’emploi étaient conformes aux rôles attribués traditionnellement aux genres.

Diverses organisations signalent que les abus contre les femmes migrantes se sont généralisés et que les viols sont devenus un spectacle. Les rôles et stéréotypes assignés aux femmes les rendent plus vulnérables et les exposent à devenir victimes de violences sexuelles, disparitions, traite, prostitution, trafic de personnes, extorsions, séparation de leurs familles (beaucoup voyagent avec des enfants), détentions arbitraires, maladies, accidents et féminicides. Elles sont souvent en charge d’enfants qui voyagent avec elles, et à ce titre sont doublement des cibles. Étant donné leur situation de sans-papiers, les difficultés s’accumulent pour obtenir un emploi, un logement et des revenus, ou pour avoir accès aux services sociaux pour elles et leurs enfants.

Cette accélération des phénomènes migratoires devient évidemment une question politique importante et un phénomène social durable. Les pays industrialisés ont largement la possibilité d’accueillir les migrants qui désirent s’y rendre, mais ces derniers deviennent l’enjeu de campagnes xénophobes dans beaucoup de pays, aux États-Unis, en Australie, en Europe et en Afrique du Sud… Le double défi posé au mouvement ouvrier étant à la fois de lutter contre cette xénophobie et d’aider à l’accueil et à l’organisation de ces travailleur·e·s migrants qui viennent renforcer la classe ouvrière dans de nombreux vieux pays. Cela met au défi notre possibilité d’organiser ces travailleur·e·s dans les syndicats. Certains pays du Golfe ou même Israël font massivement appel à des immigrés en situation de semi-esclavage pour développer l’activité industrielle.

 

I.5. L’impact de la crise environnementale

Nous faisons face à des désastres environnementaux à une échelle sans précédent, avec des changements climatiques d’origine humaine comme caractéristique la plus dangereuse.

Désertification, salinisation et inondations rendent d’importantes régions de la planète impropres à la vie humaine ou aux cultures alimentaires. Le chaos climatique crée des événements météorologiques extrêmes dans lesquels les pertes de vies humaines, les destructions d’habitats et d’infrastructures ont entraîné la mort, la misère et une pauvreté aggravée pour des millions d’êtres humains. 

Dans de nombreuses régions du monde, les dernières décennies sont aussi marquées par des mouvements de populations provoqués par les changements climatiques et d’autres aspects de la crise environnementale. Ils deviendront de plus en plus importants, concernant des populations parmi les plus pauvres de la planète. Un des effets des projets capitalistes (les barrages géants par exemple) et de l’insistance à la mise en œuvre toujours plus importante de méthodes extrêmes d’extraction de combustibles fossiles dans beaucoup de régions du monde a été une nouvelle offensive contre des communautés entières : aux Philippines, au Canada, en Amazonie, les plans pour transformer des régions entières agressent des peuples qui appartiennent souvent aux nations premières et à d’autres groupes déjà confrontés aux discriminations. Des fronts d’auto-organisation populaire et le combat contre les désastres climatiques et les projets destructeurs se constituent dans ces régions.

 

Le bilan global est donc celui d’un monde en fortes mutations pour de nombreuses régions avec un développement du salariat entraînant d’importants bouleversements sociaux. Cela se produit dans une période où le développement économique ne se fait pas dans le cadre d’un développement par les États de structures et de prestations à même d’assurer de meilleures conditions de vie. Cela est exactement l’inverse dans la plupart des cas, et aboutit de diverses façons à une dégradation des conditions de vie quotidienne, dégradation aggravée dans beaucoup de régions par les situations de guerre et les changements climatiques. Les femmes, les jeunes, sont les plus violemment touchés par cette situation.

 

 

 

II. Les fronts de riposte

 

 

II.1. Le développement inégal du mouvement syndical

On voit, évidemment, un développement important du syndicalisme parmi les nouveaux secteurs salariés, dans les pays connaissant une industrialisation, et un grand nombre de résistances par les grèves aux exigences patronales. Mais cela se fait, globalement, dans une situation où les acquis sociaux qu’avaient pu obtenir les « vieilles classes ouvrières » (retraite, sécurité sociale, notamment), loin d’être étendus dans les pays émergents, sont au contraire remis en cause en Europe et dans les autres pays industrialisés au nom des plans d’austérité. De même, en Chine, qui a connu des dernières années un grand nombre de grèves locales, notamment sur la question salariale, cela n’a pas débouché sur la création d’un syndicalisme indépendant de l’appareil d’État.

Quantitativement, la classe ouvrière est en progression constante, et il faut noter que les centres de sa progression ont fortement glissé vers l’Asie, demain sans doute vers l’Afrique. Dans ces régions, des forces syndicales en construction suivent la progression numérique, le poids social croissant du salariat, créent les bases d’une conscience de classe, mais en général n’ont pas la forte structure politique qui charpentait politiquement le mouvement ouvrier européen, même si la contradiction de ce modèle était de souvent déléguer les questions « politiques » aux partis politiques. 

De puissantes luttes ouvrières ont toujours lieu non seulement dans les vieux pays industriels, en Amérique latine, mais elles se développent aussi en Afrique du Sud et subsaharienne, en Turquie, dans le sous-continent indien et en Asie. 

Mais, à l’ère de la mondialisation, la nécessité pour les syndicats de prendre en charge des préoccupations plus larges comme celle du racisme, l’ensemble des discriminations ou le logement, est devenue de plus en plus grande et représente un vecteur de radicalisation. Même s’il y a eu quelques tentatives d’organisations dans les secteurs les plus précaires – comme ceux des fast food aux États-Unis et à une moindre échelle en Angleterre –, en général, dans les vieux pays industrialisés, les travailleurs les plus précaires (les plus jeunes avec une plus grande proportion de migrants et de femmes) sont les moins organisés.

D’autres questions stratégiques sont aussi posées dans la situation actuelle. Des syndicats de nombreux secteurs posent la question, à l’ère de la mondialisation, du remplacement de l’organisation en syndicats d’industrie par une organisation en « chaîne de valeur », c’est-à-dire une coordination de tous les secteurs permettant la réalisation d’une même production. Cela est d’autant plus important que la recherche des profits maximums amène à des politiques d’éclatement des processus de production, avec l’appel à la sous-traitance, sur un même site ou, le plus souvent, à l’échelle internationale. Au-delà, la question de la démocratie syndicale est essentielle pour la construction d’organisations efficaces.

La création d’une centrale syndicale unique, la Confédération syndicale internationale (CSI, ITUC), rassemblant la grande majorité des forces syndicales au niveau mondial, ne peut cacher une grande disparité, surtout en termes de capacité à défendre les intérêts des salariés et à s’opposer aux plans capitalistes. La faiblesse des syndicats et des organisations politiques ayant une matrice marxiste et lutte de classe et faisant un travail d’éducation dans leurs rangs induit une faiblesse de conscience de classe. 

Le mouvement syndical est donc confronté à plusieurs problèmes cruciaux : 

• La capacité à intégrer toutes les questions sociales qui se posent dans la société (racisme, homophobie, discriminations vis-à-vis des femmes, logement). La nécessité d’intégrer les questions environnementales est aussi un impératif majeur. Les tensions créées entre le maintien des emplois et la lutte contre les usines et les productions nuisibles imposent de mettre sur pied un système de revendications permettant de dépasser ces contradictions.

• La capacité de prendre en compte la réalité du précariat sous toutes ses formes et donc de stimuler et créer les structures permettant d’organiser toutes celles et ceux concernés, notamment par le développement de structures au-delà des entreprises, dans les zones d’activités industrielles, les quartiers et les localités. Cela concerne particulièrement les jeunes qui sont souvent eux-mêmes à l’initiative de création de sections syndicales.

• L’impérieuse nécessité de coordonner l’organisation à l’échelle internationale, en se calant sur les réseaux réels des chaînes de production dans lesquelles les travailleur·e·s sont mis en concurrence tous contre tous.

• La capacité à créer, à partir de la lutte pour les droits, une identité de classe donnant aux luttes de résistance des programmes permettant de contester les structures capitalistes de la société et de porter un projet de renversement de ce système. 

 

II.2. Auto-organisation et coopératives

Dans de nombreux pays, face aux licenciements et aux fermetures d’entreprises, le plus souvent par des grandes compagnies internationales, se manifeste un mouvement de réappropriation d’entreprises, à l’image de Zanon en Argentine, où, dans la foulée de 2002, existent aujourd’hui plus de 300 entreprises récupérées par les travailleur·e·s. En Europe, un réseau d’entreprises autogérées se développe autour de Fralib, Vio-me, Rimaflow…

De même, face aux grandes compagnies et aux trusts agroalimentaires, de nombreuses luttes de communautés paysannes amènent à la mise sur pied de coopératives de production cherchant à contrôler elles-mêmes leur distribution.

Ces expériences, même limitées, mettent en avant la question du contrôle, de la récupération par les travailleur·e·s des moyens de production, et aussi des choix de production liés aux besoins sociaux.

Ce qui manque partout est la force d’une connexion sociale basée sur de solides expériences de luttes de résistance ponctuelles mais durables, d’embryons de sociétés alternatives, des « bastions » qui résistent aux heurts et cultivent des alliances, des espaces de confrontation, des discours politiques et culturels qui posent vraiment la question de la qualité d’une alternative économique et sociale.

Nous devons tenter d’articuler de manière dialectique le « pour » et le « contre » ; résistances et alternatives ; mutualisme/coopératives et luttes pour les droits. Nous devons soutenir et favoriser les expériences de nouvelles formes d’organisation directe du travail, salariée et coopérativiste. L’autogestion comme instrument pour mettre en pratique l’objectif de reconstruire une conscience de classe et de proposer une nouvelle démocratie par en bas. Et des organismes qui rompent enfin la vieille dichotomie entre spontanéisme et organisation, la vieille idée de la conscience politique existant seulement dans les formes partidaires à « importer » dans les expériences de lutte. Les deux moments peuvent cohabiter dans une phase où la pratique sociale ne doit plus être séparée de l’élaboration théorique et culturelle. 

 

II.3. Les luttes contre la dette

Depuis dix ans et le début de la crise financière, la crise de la dette a pris une dimension dépassant largement les dimensions antérieures : au-delà de l’Amérique du Nord et de la crise de la dette souveraine dans l’Union européenne, des populations indiennes, de l’État espagnol, de nombreux pays européens ont été et sont touchés, notamment avec les plus de dix millions de foyers expulsés de leurs logements ces dernières années, mais aussi, comme aux États-Unis, avec les dettes étudiantes.

Ces dettes illégitimes ont été le vecteur de la création de nombreux mouvements, de luttes pour les audits.

 

II.4. Les luttes paysannes

De multiples combats locaux rassemblent les mouvements paysans et indigènes en Afrique, Amérique latine, Asie et en Europe. La question de l’accaparement des terres et celle de la souveraineté alimentaire sont au cœur de toutes les luttes. Elles sont toutes marquées par la transversalité des combats, anticapitalistes, environnementaux, féministes, contre les discriminations et les oppressions ethniques, pour les droits des migrants. La question de la démocratie, de la souveraineté et du droit de décider face aux gouvernements et aux multinationales est aussi au centre des exigences. Via Campesina, qui regroupe plus de 160 organisations dans 70 pays, a réussi depuis plus de 20 ans à regrouper des millions de paysans et paysannes, petits producteurs. Et notamment à mettre les questions féministes, indigènes et environnementales au cœur de ses préoccupations.

En Amérique centrale, en Amérique latine, les luttes pour les droits des communautés indigènes et pour le droit à la terre se heurtent souvent à la répression meurtrière, comme au Brésil et au Honduras. En Asie, en Afrique – au Mali par exemple – les paysans se mobilisent contre les accaparements de terre.

 

II.5. Place des mouvements démocratiques et de justice sociale

À partir du mouvement des Indignés, du mouvement des Places dans les grandes villes des régions arabes, du mouvement Occupy, s’est développée depuis 2011 une longue vague de luttes démocratiques, en Afrique, en Europe et en Asie, au Mexique, fortement marquées par la jeunesse et liant questions démocratiques et questions sociales. La vague des révolutions dans la région arabe, au Maghreb et au Moyen-Orient, a pris sa source dans les questions démocratiques et de justice sociale. Le mouvement des Indignés, d’Occupy aux États-Unis et en Europe a les mêmes racines. Les dernières années ont vu la multiplication de mouvements en Afrique subsaharienne pour imposer des consultations démocratiques (Nigeria, Sénégal, Burkina Faso…). En Corée du Sud, la présidente Park a été destituée en mars 2017 suite à une longue mobilisation démocratique contre la corruption. Les questions des dictatures et des présidents à vie, des reports de consultations électorales, des régimes corrompus ont été des moteurs puissants de mobilisations ces dernières années. Dans les pays confrontés à l’évolution autoritaire des régimes politiques (Brésil, Europe de l’Est, Philippines…) les combats de défense des droits démocratiques a pris et prendra une place centrale dans l’agenda politique.

 

II.6. Place des jeunes sans emploi dans les formations sociales

En Afrique, comme en Amérique latine, les jeunes, notamment les jeunes scolarisés, forment une couche sociale en butte au chômage et à la crise. Les révoltes des jeunes brésiliens contre le tarif des transports, les grèves étudiantes au Chili, au Québec, entrent en écho avec la force des mobilisations sociales en Tunisie, en Égypte. Dans les nombreuses mobilisations démocratiques et anti-corruption qui ont eu lieu dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, la question des conditions de vie et de l’avenir de la jeunesse était très présente.

L’augmentation du niveau d’éducation a généré l’attente d’une amélioration des conditions de vie. Elle n’a fait qu’exacerber la révolte et l’exigence d’un avenir social. Ces mouvements font ressortir des exigences de démocratie politique, de remise en cause des systèmes politiques contrôlés par les oligarchies capitalistes et rentières. La jeunesse a ainsi pu être ces dernières années la force motrice des mobilisations révolutionnaires et a aussi joué un rôle majeur dans les développements politiques progressistes que ce soit l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du Labour Party en Grande-Bretagne, la naissance de Podemos ou le mouvement de soutien à Bernie Sanders aux États-Unis en 2016.

Dans toutes les mobilisations, la force de la jeunesse est à l’échelle de la précarité structurelle, du chômage de masse que connaissent les jeunes dans de nombreuses régions du monde. Ces mouvements font ressortir des exigences de démocratie politique.

 

II.7. Droits des femmes et mobilisation de masse contre les violences, les viols et les féminicides, pour le droit à l’avortement

De manière générale, concernant les questions clefs des luttes féministes, la situation a été contradictoire ces dernières années, étant donné la présence toujours plus massive des femmes dans le monde du travail. Le mouvement des femmes a développé de multiples structures et mobilisations dans toutes les régions du monde, mais se heurte à une offensive réactionnaire dans de nombreux pays, liée à la montée des courants néoconservateurs et fondamentalistes. Cette offensive remet en cause des droits fondamentaux : le droit de vivre, celui de l’indépendance financière et sociale vis-à-vis des hommes (pères, frères ou maris), de choisir son habillement et de maîtriser sa procréation, notamment par l’accès légal, gratuit et sûr à l’avortement.

Ces dernières années, un facteur important de mobilisation sociale a été la réponse aux violences faites aux femmes – en premier lieu le féminicide – en Inde, Turquie, Argentine, Chili, Uruguay ou au Mexique. Depuis les gigantesques manifestations en Inde en décembre 2012, beaucoup d’autres mobilisations se sont développées dans un certain nombre de villes : le 7 novembre 2015, 500 000 femmes se sont mobilisées à Madrid contre la montée de la violence et les assassinats de femmes ; en Argentine, des centaines de milliers de femmes se sont mobilisées en 2015 en réponse à plusieurs assassinats qui ont secoué le pays ; au Mexique, l’augmentation des assassinats et des disparitions de femmes signés par le narcotrafic, à des niveaux jusque-là jamais atteints, ont entraîné de fortes mobilisations dans le pays.

Ces mobilisations nous renvoient au fort degré de violence que connaissent de nombreux pays, violences qui affectent en premier lieu les femmes et qui pèsent également sur la réalité sociale : la majorité des pays d’Amérique centrale, le Mexique, le Brésil, presque tous les pays d’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Sud ont atteint leur niveau le plus haut en ce qui concerne les homicides non liés à la guerre.

Au centre des nouveautés mises en évidence, nous retrouvons une tendance aux interpellations et aux dialogues féconds avec des sujets sociaux qui jusque-là ne s’étaient pas sentis partie prenante du mouvement des femmes et du mouvement féministe, les collectifs trans, les femmes noires, indigènes, lesbiennes, entre autres. Apparaissent de nouvelles formes de mobilisations qui, dans certains pays, ont eu recours à des actions telles que la grève, discutée et débattue avec le mouvement syndical, comme c’est le cas de la mobilisation du 8 mars 2017 qui est plus largement connue comme grève internationale des femmes. On constate un essor significatif de la mobilisation, ce qui permet d’augurer une ascension du mouvement féministe et la diversification de ses alliances.

L’élection de Donald Trump a provoqué une vague internationale de protestations le 21 janvier 2017 à l’initiative du mouvement des femmes, pas seulement dans plusieurs villes des États-Unis, mais aussi dans beaucoup de villes du monde, positionnant ainsi le mouvement féministe à l’avant-garde des luttes politiques contre les réactionnaires. Les différents gouvernements réactionnaires qui sont arrivés au pouvoir durant la vague des offensives libérales essayent de remettre en question le droit à l’avortement obtenu par les luttes des décennies antérieures. Face à cela ont surgi des mobilisations massives pour défendre et étendre ce droit, spécialement dans l’État espagnol en 2014 et en Pologne en 2016.

Le potentiel de croissance de ce nouveau mouvement est renforcé par son caractère international. Des pays comme l’Argentine et l’Italie inspirent à des latitudes différentes la possibilité de configurer des structures naissantes qui connectent à la fois les luttes, les tactiques et les stratégies. Le rôle qu’ont joué les nouvelles technologies, en particulier les réseaux sociaux, comme plateforme de diffusion et de communication est inégalable.

 

II.8. Les luttes LGBT+

Dans beaucoup de pays (mis à part le monde musulman et l’essentiel de l’Afrique subsaharienne), la force de l’organisation des LGBT+ a rendu possible la décriminalisation des relations homosexuelles et l’accès à des droits, encore limités, pour les personnes transgenres. Dans ce processus, le mariage homosexuel a été légalisé dans beaucoup de pays, pas seulement dans des pays riches, mais aussi en Afrique du Sud et dans de plus en plus de pays d’Amérique latine avec, le plus souvent, un large consensus de la société. D’autres batailles restent à gagner, en particulier les droits pleins et entiers pour les transgenres et les parents LGBT+. 

La question des violences et celle des campagnes homophobes pèsent lourdement. Le rôle crucial des courants religieux réactionnaires contre le mouvement LGBT+ est partout évident, que ces courants soient chrétiens (catholiques ou protestants), hindous ou musulmans, tout autant que la violence et le fanatisme des groupes d’extrême droite indépendants de toute religion. Dans les pays émergents, les violences anti LGBT+ sont souvent habillées d’un discours contre les modèles de culture européenne/américaine. En retour, ces dernières années un courant homonationaliste s’est développé, justifiant la politique impérialiste, américaine notamment, contre les pays arabes, comme pouvant faire avancer les droits des LGBT+. Cela pose d’autant plus la nécessité de l’intersectionnalité, l’exigence des connexions entre tous les combats contre les oppressions.

 

II.9. Les organisations contre le racisme et en défense des migrants

L’organisation autonome du mouvement Black Lives Matter, centrée sur la question du racisme de la police mais ayant mis en lumière la question plus large du racisme d’État, est le développement le plus significatif aux États-Unis depuis la disparition du mouvement pour les droits civiques. Ces combats ont aussi inspiré des combats menés par la jeunesse noire dans beaucoup d’autres pays comme le Brésil et l’Afrique du Sud. Dans beaucoup de ces cas, cela inclut les réactions à la guerre contre la drogue menée par les États et qui sert de prétexte à l’assassinat de nombreux jeunes dans beaucoup de pays comme le Brésil, les Philippines, les États-Unis, le Mexique, la Colombie… En Europe, alors que les conséquences meurtrières des frontières et des politiques migratoires deviennent plus visibles, on a assisté au développement de mouvements de solidarité concrète et de revendications politiques, le plus notablement en Grèce, mais aussi en Italie, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Catalogne. Le contexte de lutte contre le terrorisme, les politiques d’austérité font ressurgir un discours raciste, héritage du passé colonial, et remodèlent les discriminations contre les classes populaires racisées, premières victimes du chômage et de la précarité, notamment en Europe et en Amérique du Nord.

 

II.10. La montée en puissance des mouvements contre le réchauffement climatique

La montée des mouvements contre les changements climatiques peut et doit aussi jouer dans les années qui viennent un rôle central pour une remise en cause globale du système. Ces changements détruisent et vont détruire les conditions de vie de centaines de millions de femmes et d’hommes. Les peuples autochtones, les populations vivant dans les conditions les plus précaires sont souvent les premiers touchés, comme ils sont touchés par les politiques de déforestation et de grands projets capitalistes remettant en cause leurs zones de vie. Dans beaucoup de régions concernées, les populations s’organisent et cherchent à construire des réseaux intégrant les autres organisations sociales. 

On voit donc que les questions de chômage, de conditions d’emploi se mêlent dans beaucoup de régions à de nombreuses autres questions sociales de première importance et perçues comme telles par les populations concernées. 

 

III. Les questions de changements politiques, de luttes et de stratégie anticapitalistes

 

La question essentielle est évidemment celle des perspectives d’émancipation à même de structurer ces mouvements sociaux et politiques. Les expériences de Via Campesina, de plusieurs secteurs syndicaux professionnels, des coalitions climat montrent que, notamment parmi la jeunesse, la mise en œuvre d’actions directement sur le terrain international et remettant en cause la société capitaliste est une démarche naturelle. Mais beaucoup des structures issues de la vague montante de l’altermondialisme (FSM, Marche mondiale des femmes, ATTAC…) ont connu dans cette confrontation un frein à leur développement et sont entrées en crise. Via Campesina et le CADTM sont arrivés quant à eux à assurer leur développement avec la place centrale prise d’un côté par les luttes de résistance paysanne et de l’autre par la dette ces dernières années et la démarche des audits citoyens. La situation est difficile sur le terrain du mouvement syndical traditionnel, sur qui pèsent lourdement les politiques de consensus ou de compromis national avec les politiques d’austérité. Et même la vague de syndicats alternatifs en Europe de l’Est s’est aussi essoufflée ces dernières années. De même, toutes les expériences de regroupements larges anticapitalistes dans la foulée des forums sociaux ont connu des coups d’arrêt, liés aussi à la crise d’organisations européennes qui en étaient partie prenante (SWP, SSP, LCR/NPA,…).

Nous devons traiter de nouveaux défis dans la construction d’un mouvement révolutionnaire international, un mouvement anticapitaliste appuyé sur la défense des droits et de la justice sociale.

Il y a d’abord évidemment une bataille d’un nouveau type dans beaucoup de régions du monde. 

Comme nous l’avons analysé plus haut, les attaques sociales, les politiques d’austérité, la mise en pièces des anciennes structures de compromis sociaux créent une colère sociale de plus en plus puissante. Cette colère se tourne contre les institutions nationales et internationales, les dirigeants et les partis porteurs de ces attaques et qui étaient souvent les piliers traditionnels des systèmes politiques. Cette usure, cette érosion, posent une question stratégique au niveau international : elle donne aux révolutionnaires, aux courants des mouvements sociaux qui luttent contre ces politiques réactionnaires, la responsabilité de proposer une perspective politique pouvant donner un vecteur progressiste, révolutionnaire, au rejet du système. Nous voyons toute une génération de jeunes qui ont été mobilisés sur les questions du climat, du mouvement des femmes, etc. Cela développera nos propres organisations, tout comme les organisations syndicales et celles du mouvement étudiant, en favorisant un meilleur équilibre hommes/femmes et en aidant à la prise en compte des différentes questions politiques dans ces mouvements (ainsi en Europe, l’émergence d’organisations de jeunes femmes dans des universités, pouvant être un point d’appui pour un réseau international de mouvements étudiants).

En tant que telles, les luttes pour la démocratie et la justice sociale ne débouchent pas automatiquement sur une lutte pour le renversement des systèmes d’oppression. Les dernières années ont fait ressortir une question politique évidente. Confrontées à la remise en cause des dictatures en Tunisie et au Moyen-Orient, aux régimes progressistes en Amérique centrale ou aux éruptions sociales anti-austérité, les forces réactionnaires ont pris partout un cours offensif, notamment par le renforcement de régimes autoritaires à même de s’opposer à ces mouvements d’émancipation. Cela impose la mise en œuvre d’une stratégie pour à la fois organiser la mobilisation populaire et être à même d’affronter les contre-offensives réactionnaires.

De plus, au sein des classes populaires, ressurgit une lutte d’influence entre des courants démocratiques, de classe ou clairement anticapitalistes et des courants réactionnaires, religieux ou d’extrême droite fascisante. L’influence de la religion a toujours été très forte dans les milieux populaires, souvent des communautés rurales ou urbaines s’organisent en intégrant ces références religieuses, mettant en avant des revendications de justice sociale contre les riches et les possédants. Dans ce cas, la cohabitation avec des organisations ayant ces références est évidemment possible pour des organisations révolutionnaires. Mais le problème auquel nous sommes confrontés dans diverses régions est celui de courants religieux réactionnaires et des courants d’extrême droite. En Europe de l’Est et aux États-Unis, ces courants jouent dans les milieux populaires sur les mécanismes habituels en période de crise pour dévier de la lutte anticapitaliste (peur des immigrés et des étrangers, nostalgie nationaliste…) auxquels s’ajoute, en Europe notamment, l’islamophobie galopante. Dans d’autres régions de tradition musulmane, des organisations ont créé une hégémonie sur une partie des couches populaires pour dévier les aspirations de justice sociale ou de lutte contre les pays impérialistes vers une mythification des temps anciens de l’islam. Toutes ces idéologies s’appuient sur la colère populaire provoquée par la crise et/ou la disparition des systèmes de protection sociale, de services publics, la montée de la précarité, détournant d’une lutte anticapitaliste vers le retour à un ordre religieux, à une identité ou à une nation fantasmée, en charriant évidemment tout le prêt-à-porter réactionnaire de soumission à l’ordre, la famille patriarcale, l’homophobie et la misogynie. Souvent, les questions identitaires deviennent ainsi un cadre structurant tant dans les métropoles impérialistes que dans les pays dominés, pouvant donner une logique à l’infini de repli sur les identités confessionnelles.

Cette concurrence impose aux organisations anticapitalistes, dans le mouvement social comme dans le mouvement politique de pouvoir redonner vigueur à une perspective d’égalité sociale dans une société débarrassée du capitalisme et de l’exploitation.

À un autre niveau, nous devons répondre à un autre défi. À la fois construire des organisations de masse dans le mouvement social pour répondre à toutes les attaques et les agressions du système, mais aussi construire tous les liens permettant de mettre en commun tous les fronts de résistance. Les dangers de replis identitaires, la faiblesse des réponses politiques de changement social pouvant servir de référence commune, imposent plus que jamais l’intersectionnalité, d’œuvrer à la convergence des mouvements contre les oppressions, à l’exemple de la dynamique de Black Lives Matter aux États-Unis.

Sur le terrain politique, toute la question est de pouvoir construire des stratégies politiques qui, loin de se limiter à des perspectives institutionnelles, donnent toute leur place à l’auto-organisation des mouvements sociaux, se mettent au service des exigences populaires et mettent les expériences de gestion institutionnelle au service de ce mouvement social tout en s’attaquant directement au pouvoir économique des capitalistes. Sur ce point, les dernières expériences ne sont guère positives.

Seule l’Amérique latine a vu dans la première décennie de ce siècle l’arrivée de gouvernements se situant dans le prolongement de ces mouvements sociaux mais sans que cela transforme les conditions d’existence des populations à un niveau permettant de redynamiser des perspectives d’émancipation sociale. L’évolution des gouvernements équatorien, bolivien, vénézuélien amène aujourd’hui à un changement de cycle et la nécessité de rompre avec des perspectives fondées, notamment, sur les politiques extractivistes. Les mouvements syndicaux et sociaux se retrouvent en situation de résistance face à des politiques qui n’ont pas tenu leurs promesses. 

D’une autre manière, au Maghreb et en Égypte, les mouvements populaires, appuyés sur les mobilisations de la jeunesse et des forces syndicales, avaient permis le renversement des régimes dictatoriaux. Ils se retrouvent aussi rejetés sur le terrain de la résistance. On peut néanmoins voir apparaître des éléments de dynamique régionale entre les mouvements dans les pays du Maghreb et ceux de l’Afrique subsaharienne.

En Grèce, la trahison du gouvernement Tsipras, alors qu’il avait été porté par le rejet des politiques d’austérité, laisse aujourd’hui le mouvement social dans la responsabilité de reconstruire une alternative politique avec les courants de la gauche radicale. Dans l’État espagnol, Podemos issu directement des mobilisations sociales des Indignés, confronte aujourd’hui le mouvement social à une situation similaire. Les débats stratégiques au sein de Podemos portés par Anticapitalistas pour un programme d’affrontement direct avec les politiques d’austérité, entrent en écho avec les exigences portées par le mouvement social.

En conclusion, dans les diverses régions où ont lieu des changements politiques issus de mobilisations sociales, les mouvements sociaux sont confrontés à une situation de défensive dans un contexte de développement de fortes luttes de résistance porteuses d’espoir.

La question clef dans les années à venir, sera non seulement celle de niveaux d’organisation à la hauteur des attaques subies, mais aussi celle de la capacité politique de construire, en lien avec les mobilisations sociales, un mouvement politique d’émancipation capable de se heurter frontalement au capitalisme.

Quatrième internationale